Impuissant vs. Insoumis, un roman de Aline Jeannet
Qu’est-ce qu’il fait, cette nuit, son si discret voisin qui se cache derrière un parfum d’hydrocarbure ? Beatrix l’entend travailler, au-dessus de chez elle, et elle imagine n’importe quoi. Mais cette nuit, c’est plus fort qu’elle. Cette nuit, elle grimpe chez lui et découvre derrière la porte ouverte un jovial assassin, qui va lui en faire voir… J. Stern, c’est son guide, son bourreau, mais aussi son esprit protecteur. Sans qu’elle sache comment lui dire non, il l’embarque sous la ville, vers d’anciens souvenirs dont Beatrix ne garde que des bribes. Ils se rendront dans cet étrange lieu enfoui dans les catastrophes. Du temps, plus rien ne reste que des couches désorganisées qui s’effritent entre les doigts. De la ville qu’elle a connue, jusqu’au littoral, tout le paysage est transformé, asséché et ranci par un événement dévastateur dont elle ne se rappelle rien, mais qui a fait naître une société qui se défonce à l’oxygène. Transfuge, entre ascenseurs et stations-services, assignée à de sales besognes, Beatrix ramassera sa mémoire brisée, au hasard des rencontres et des caprices de J. Stern, qu’elle ne connaît pas, mais qui la connaît bien.
Première diffusion : 29 janvier 2011 ; Poids : moyen ; Collection : Romans
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ISBN : 978-2-92391-610-1
Un extrait :
Je ne devrais pas être là. Je ne suis pas à ma place. Je n’agis pas selon ce qu’on serait en droit d’attendre de moi. Je me prends à rêver. C’est peut-être une idée, qui aurait creusé son trou, et fini par trouver un os à ronger dans un coin de mon cerveau sclérosé. Une idée qui m’aurait rendue imperméable à toutes les alertes et les mises en garde face à des corps en miettes. Qui m’aurait fait voir ce sang versé comme autre chose que comme l’expression d’une barbarie inacceptable et d’une folie à proscrire. Qui m’aurait fait regarder ce type en salopette de peintre comme autre chose que le produit déjeté d’un système à l’intérieur duquel je suis censée effectuer un certain nombre d’opérations ineptes jusqu’à la fin de mes jours. Non, je ne suis pas à ma place dans ce train, c’est limpide. À cause d’une idée. Invisible mais pas flemmarde. Une idée. L’idée que, pour une fois, ne pas être à sa place, ça pourrait avoir du bon.
Aline répond à Allan
Allan E. Berger : C’est un des textes fétiches de LecteursEnColère. C’est un roman qui très vite se dévide comme une chanson composée d’acier refroidi qu’on aurait ensuite débitée en échardes, saupoudrée d’ordures pulvérisées par les tempêtes et gardée en mémoire dans les totems mornes de vieux rêves de béton érodé. C’est une histoire bien barrée comme tu aimes les raconter, bien disloquée, éparpillée au hasard des ornières comme un chargement de bottes sous les chenilles des chars. D’où te vient cette passion pour les mondes explosés ?
Aline Jeannet : Ahem. Je dirais que mes lectures d’adolescence ont laissé quelques séquelles. J’ai lu pas mal de littérature fantastique au sens large, de la SF aux romans d’anticipation en passant par le Space-Opera et l’Heroïc-Fantasy, d’où, peut-être, un goût pour les univers parallèles et les créatures. J’ai ratissé large dans le domaine avec des auteurs comme Dick, Poe, Azimov, Vance ou encore Herbert. Ce n’est pas tant leurs univers ou leur récits qui me fascinent, même si oui, ils me fascinent, que cette capacité à créer des mondes avec leurs lois et leur folie cohérentes. Cette idée de planter un décor inédit, ça me plaît. À l’époque où j’ai écrit ce texte, j’ai commencé également à m’intéresser aux comics, à leur esthétique mais aussi à leur capacité à d’hypertrophie des failles et peurs sociales (Moore, Ennis). Les héros déchus. La dualité, voire le double maléfique. La caricature. Dans la veine BD, je mettrais aussi De Crécy pour la poésie et la noirceur et La Cage de Martin Vaughn-James pour le sens du désespoir et de la mise en scène sans figure humaine. Cette littérature, c’est quelque chose.
En parlant d’image, je peux dire que je pioche aussi dans celle du cinéma, qui m’a chuchoté des scènes et des personnages. Celui de Lynch, mais aussi de Tarantino (avec son âme damnée Rodriguez) ou encore des séries Z qui passent tard le soir à la télé et dont j’oublie toujours le nom des titres et des réalisateurs. Le pouvoir évocateur de l’image c’est planter une atmosphère en moins de 2 secondes, même avec du carton-pâte, chose difficile à faire avec l’écrit. J’aime aussi les personnages de cinéma. On peut en prendre des bouts. C’est un peu comme d’aller à la casse, chercher des pièces détachées pour réparer sa vieille bagnole.
Et puis il y a la musique, bande son des moments d’écriture. Qu’est-ce que j’écoutais à cette époque-là ? C’est drôle, je ne me rappelle pas. Mais je sais que maintenant, s’il fallait faire coller une musique sur ce texte, ce serait l’album Dark Night of the Soul de Danger Mouse et Sparkle Horse, un pur chef d’œuvre rock indé collectif (ahrgh les étiquettes), illustré par des photos de Lynch (encore lui). L’album est sorti après l’écriture d’Impuissant, mais bon. C’est le genre d’ambiance, un poil sombre et desésperée mais combative, qui lui convient. Et puis il y a des clins d’oeil à un auteur compositeur interprète que j’ai découvert à l’adolescence, Hubert Félix Thiéfaine, dont les univers délétères m’ont toujours plu. Il y a de ces chansons dans ce texte, c’est clair. Certains, d’ailleurs les ont même mises en BD, alors.
De manière générale, l’invraisemblable ne me semble jamais aussi joussif que quand puisé dans la réalité, d’où un ancrage important dans le monde réel, comme point de départ. Mais très vite, j’aime que la réalité dérape. J’aime que le monde se mette à déconner et que les règles du jeu changent. J’aime les frontières incertaines, les états de conscience modifiés, les contes et la mythologie. J’aime en fait ce qui nous décale d’une définition trop précise de nous mêmes et de notre environnement. Peut-être parce que la réalité me fait peur.