Le roi Contumace, un roman de Paul Laurendeau

Serge-Ours Noiseux, dit Sournois, grand essayeur de bancs publics, peinturlureur, mandoliniste, petite célébrité du Plateau Mont-Royal à Montréal, Québec, Canada, est propulsé roi d’un ensemble de constellations. Ce petit changement d’échelle dans l’appréciation qu’il est forcé de porter sur lui-même ne laisse par le gars tout à fait de marbre mais enfin, on a connu plus estomaqué. Tout de suite, Serge-Ours égrène commentaires et questions, tandis que le protocole s’agite autour de lui, l’inondant de gros billets de banque et de facilités entremêlées d’un peu de mondanité et d’un solide petit ensemble, ardent et imprévisible, d’opportunité amoureuses.

Ce roman inattendu et jouissif nous fait faire un petit voyage en touristes dans le Montréal des artistes de rues autant que dans les hautes sphères de l’autocratie sidérale décomplexée. Une problématique politico-artistique s’y esquisse. C’est qu’en compagnie du roi Contumace, on fait plus ample connaissance avec ce petit morceau de bravoure fictionnelle qu’est la monarchie constitutionnelle. On confirme que cette dernière vide le roi de ses pouvoirs alors que son peuple le garde, pantin scintillant, gonfalon flacotant, phare pulsionnel en rythme. Sous monarchie constitutionnelle, on charrie en pleine vie publique certains des éléments les plus tragicomiques des contes de fée. Le Roi Contumace, qui écrit en Je dans un style flamboyant, goguenard et lapidaire, nous parle de son court règne et ce, en le traitant ouvertement dans l’angle délirant, l’angle barbouilleur, l’angle narcomane, l’angle dadaïste, l’angle amoral aussi, cruel, roide, arbitraire, inquiétant. Le lecteur est ici, aussi, convié à une rencontre métissante entre l’héritage du sceptre anglais et celui de la guillotine française (sans oublier les tempêtes de neige soviétiques, donc nordiques). Le résultat est une petite satire bouffonnement post-coloniale autant que suavement cosmologique.


Première diffusion le 19 janvier 2015.
3,49 € - 4,99 $ca sur 7switch | Poids moyen | Collection Romans
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ISBN : 978-2-923916-89-7


Extrait

Le mandoliniste Serge-Ours s’est trouvé des admirateurs qui lui donnent du Sire. Il se laisse faire.

Nous voici donc en juillet. L’été est toujours aussi splendide et c’est maintenant la canicule. Notre chère canicule continentale ne rate jamais sa chance, pendant quelques petites semaines solidement senties, de bien faire mentir la réputation de fraîcheur surfaite qu’a notre beau pays nordique. Je me tiens sur mon banc de parc, heureusement ombragé, devant le buste sur socle d’Émile Nelligan. Je suis en train d’accorder ma mandoline, patiemment, et il n’y a personne qui se présente aujourd’hui. Il fait bien trop chaud. Nos baguenaudeurs et baguenaudeuses doivent se serrer dans les piscines municipales ou s’épivarder dans les promenades commerciales climatisées du Montréal souterrain. Il va sérieusement falloir que je pense à me faire couper la barbe. Elle est longue, grise, poudreuse, hirsute et, avec cette chaleur torride, elle commence sérieusement à me piquer dans le cou. En ruminant ces pensées, cardinales dans leur élévation, je me penche sur le manche de ma mandoline en m’efforçant de la faire tinter au mieux. Ah, la vieille amie de toujours accorde bien mal quand il fait si chaud.

Le bruit régulier d’escarpins toquant contre le pavé me fait relever la tête. Une jolie merveille en cheveux portant une courte et vaporeuse robe d’été blanche et des talons aiguilles rouges avec un petit sac à main assorti, rouge aussi donc, s’avance dans ma direction. Je la reconnais tout de suite. C’est Roussette. Elle se plante devant moi et, je vous jure que je suis pas en train de vous niaiser, elle fait une sorte de jolie petite révérence. Ses jambes nues et ciselées, magnifiquement dessinées, ploient légèrement. Elle pique la pointe du pied gauche au sol derrière le pied droit et ses deux mains prennent une mignonne petite posture ouverte de ballerine au turbin, juste au niveau du point de contact entre la robe et le haut des cuisses. Cela ne dure qu’une seconde mais ses longs cheveux de feu ont le temps de faire brusquement rideau autour de son fin visage en voletant, car elle a penché la tête bien franchement, d’un geste vrai, limpide, saisissant d’ingénuité. Très heureux de la revoir, je vais rester parfaitement placide (c’est mon lot, comme vous le savez maintenant) pendant notre échange. En concluant élégamment sa petite révérence, ma Roussette adorée sourit à la fois radieusement et respectueusement. Et elle dit :

« Sire.

— Cire ? Oh oui, ma douceur, tu as bien raison de m’appeler cire. Il fait tellement chaud que j’ai l’impression que je vais effectivement me mettre à fondre comme de la…

— Non Serge-Ours, Sire, comme dans Excellence, Votre Altesse.

— Comme dans… bon, comme tu veux, Ma Merveille. Tu… tu as toujours ton couteau à cran d’arrêt ?

— Naturellement. Il est dans mon sac à main. Je…

— Oui, Roussette. Oui. Dis-moi.

— Je suis venue prendre mes nouvelles fonctions auprès de vous, Sire.

— Et quelles sortes de fonctions que c’est donc ça ?

— Je suis votre argentière-comptable.

— Mon… »

J’ai pas le temps d’en dire plus. Roussette ouvre son sac à main. Une seconde je m’imagine qu’elle va en sortir son cran d’arrêt, mais non. Elle en tire une jolie liasse de dollars bien colorée. Je ne vais pas me lancer ici dans des considérations chromatiques ou pécuniaires mais au jugé et au prorata couleur/épaisseur de la liasse, cela représente environ sept cent fois la somme qu’elle m’avait remise l’autre jour, en compagnie de ses costards surréels d’un autre temps. En empoignant la liasse et en la fourrant promptement dans ma pochette de ceinturon (je suis en pantalon de denim et débardeur. Il fait bien trop chaud aujourd’hui pour que je varnousse dans le coin en vareuse), je me demande quand même qui sont ces gens. C’est de la pègre ou quoi ? Elle revient du Casino de Montréal, ma Roussette, là, avec sa jolie robe de neige qui me rince et me rafraîchit l’œil à elle toute seule ? Ravalant mes interloquades multiples, je prends le parti de continuer l’échange sur sa lancée, comme si je ne venais pas de devenir richissime (ce qui, à ma mesure, est pourtant bien le cas).

« Mon argentière-comptable ? Et qui donc t’a désignée, comme ça, mon argentière-comptable ?

— La Garde Rapprochée de la Monarchie Constitutionnelle des Sept Mondes.

— La… que ça ! Ben, tu me diras pas !

— Garde Rapprochée dont certains membres éminents souhaitent d’ailleurs vous revoir.

— La Garde Truc, là… c’est tes trois rasibus de l’autre jour ?

— Ce sont bien eux, oui… et moi… et quelques autres….

— Et ils veulent me revoir.

— Oui, Sire.

— Au Kiosque, enfin… sous le Kiosque ?

— Oui, Sire. »

Depuis mon banc attitré, devant le buste de Nelligan, j’ai qu’à me tourner de côté pour apercevoir le Kiosque qui est tout près. Je le fais. C’est pour voir tout de suite en sortir tout de go deux petites gamines fringuées en chasseurs, vous savez ces enfants en rouge et or avec un bonnet comme une boite de pastilles qui actionnent les ascenseurs et portent des lettres toutes seules sur des petits plateaux dorés, dans les films crépitants du siècle dernier. Sur un signe de Roussette, l’une des gentilles petites personnes marche vers moi et me retire doucement la mandoline des mains. Elle la passe à l’autre qui la dépose délicatement dans son étui et se charge prudemment ce dernier sur le dos, avec l’aide attendrissant de la première. Les deux apparitions fugitives en tenue de carnaval hôtelier, deux petites servantes indubitablement, se mettent ensuite en marche franc sud. Tandis que Roussette s’assoit majestueusement sur l’autre bout de mon banc, j’observe les deux gamines emportant mon instrument. Elles traversent la Promenade Saint-Louis et entrent dans une des jolies maisons-de-ville victoriennes se trouvant de l’autre côté. Je me tourne vivement vers Roussette, assise, hélas bien trop loin de moi, sur l’autre bout de mon pauvre banc attitré. Elle se tient bien droite, ses cheveux roux inondant ses épaules, ses yeux kaléidoscopiques grand ouverts, les fesses et les cuisses serrées, les pieds sur hauts talons bien joints, les mains sur les genoux. Curieux quand même, on se serait attendu d’une jeune femme si fraîche et si moderne qu’elle s’adosse et croise les jambes en s’asseyant ainsi, sous le soleil. Je me souvins alors fugitivement d’avoir lu dans un vieil ouvrage de maintien et d’étiquette alors que je préparais un de ces rôles un peu parcheminés de ma verte jeunesse qu’une jeune aristocrate devait toujours s’asseoir les jambes jointes (pas croisées, donc. Interdit) en présence de son duc ou de son… roi. Ceci pensé et cogité profondément mais en un éclair, c’est surtout de mon instrument de musique que je m’inquiète, pour le coup.

« Euh… elles se barrent où comme ça, avec ma mandoline ?

— Ce sont vos pages, Altesse. Elles s’en vont la déposer dans vos nouveaux quartiers.

— La cabane de ville victorienne où elles viennent juste d’entrer…

— Vous appartient maintenant, Sire. Nous nous en sommes portés acquéreurs en votre nom… »


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