C'est l'opium du peuple, un essai de Paul Laurendeau

Le présent ouvrage propose une analyse athée du fait religieux, dans un angle philosophique. L’exposé se donne comme exosquelette l’intégralité de la tirade de l'opium du peuple de Karl Marx. Les trois paragraphes de ce commentaire célèbre de 1843 ont donc été soigneusement découpés ici en vingt titres de chapitres qui annoncent autant de segments d'un développement philosophique homogène sur la religion et la religiosité.

Cet exposé s’adresse au premier chef aux athées, surtout ceux et celles qui ont le cœur gonflé d’une ardeur irréligieuse, au point d’en avoir mal. Les gens qui croient à une religion peuvent lire cet ouvrage aussi, bien sûr, mais ils n’y sont pas ouvertement invités et ils risquent de s’y sentir parfois un petit peu bousculés. Par moments, ça pète un peu sec… Or l’auteur n’est pas ici pour ferrailler avec les dépositaires du culte ou leurs ouailles. Ça ne l’intéresse pas de faire ça. Paul Laurendeau est ici avant tout pour dire ce qu’il pense, pas pour faire du prêchi-prêcha à rebours. L’ouvrage s’adresse aussi aux gens qui doutent de leur statut de religionnaire et qui ressentent un besoin pressant de mettre un peu d’ordre dans leurs pensées, sur cette vaste question.

Non seulement la religion est l'opium du peuple, mais elle reste, l’un dans l’autre, un objet d'un grand intérêt intellectuel. Qu'on l'approuve ou qu’on la réprouve (l’auteur de cet ouvrage est du nombre de ceux qui la réprouvent), il reste que la religion est un phénomène incontournable de l’histoire humaine. Aime, aime pas, elle est encore avec nous. Il faut donc encore en parler.


Première diffusion le 13 mai 2022.
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ISBN : 978-2-924550-66-3


Introduction (extrait)

« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci. L’être humain fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’être humain. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’être humain qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’humain n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’être humain, c’est le monde de l’humain, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

» La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

» Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. »

 
Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, 1843.
 
 

 
La tirade de l’opium du peuple (qui est reproduite supra, comme citation d’exergue) contient certainement l’aphorisme le plus célèbre de Karl Marx. Il s’agit du tour C’est l’opium du peuple ou Elle est l’opium du peuple (les traductions varient) devenu, dans sa forme d’adage populaire, La religion, c’est l’opium du peuple.

Quand il a écrit cette tirade, Marx avait vingt-cinq ans. C’était en 1843 et c’était dans un document qu’il ne destinait pas à la publication. Il écrivait alors en pensant à son père qui voulait faire de lui un juriste. Marx ne s’intéressait déjà plus tellement au droit, discipline servile. Il préférait la philosophie, discipline critique. Et c’est un peu la transition intellectuelle qu’il vivait à ce moment-là qu’il exprima, à travers la fameuse tirade de l’opium du peuple. Elle donnait le ton de la déconstruction dialectique que le jeune Marx allait faire de la pensée du vieux Hegel. La critique de la religion étant supposément terminée, il fallait désormais non pas se mettre à faire du droit mais plutôt procéder à une critique radicale du droit.

Ce qu’on sait moins de cette fameuse tirade de l’opium du peuple, c’est qu’elle forme un petit groupe de trois paragraphes très serrés qui ouvraient cet essai de 1843, à propos de la philosophie du droit de Hegel. Or, l’intégralité de cette série de petits paragraphes synthétiques est fort intéressante pour comprendre adéquatement le phénomène de la religion et l’expression de la vision athée, sur cette dernière. Quand j’ai découvert ce passage célèbre, j’avais moi-même l’âge que Marx avait quand il l’a écrit, vingt-cinq ans. Tout de suite, à l’époque, j’ai eu le net sentiment d’avoir sous les yeux le synopsis d’un livre qui n’avait pas encore été écrit. Je voyais apparaître chacun des segments des trois paragraphes de la tirade de l’opium du peuple comme autant de titres des chapitres d’un ouvrage sur la question religieuse, que j’avais eu bien envie d’écrire à l’époque (1983).

Aujourd’hui (2022), je viens de réaliser ce rêve de jeunesse et je vous en soumets le résultat. Il s’agit d’une analyse athée du fait religieux, dans un angle philosophique. Et l’exposé se donne littéralement comme exosquelette l’intégralité de la tirade de l’opium du peuple de Karl Marx.

Je sais exactement où je suis et je sais que mon choix pose quelques problèmes théoriques. Le fait est que le texte de départ de mon exposé fait partie des écrits de jeunesse de Marx. On y rencontre donc un petit lot de notions fraîches, prosaïques, terrestres et simplettes comme la misère, le bonheur, le peuple, la critique, l’essence humaine. Toutes ces notions de philosophie ordinaire ont été souvent trivialisées, esquintées, ou abandonnées dans le marxisme de la maturité. Elles procèdent de fait de la ci-devant philosophie de l’aliénation et elles sont incontestablement des idées plus hégéliennes et feuerbachiennes que marxiennes. Bon. Et alors ? Pour tout dire, le propos n’est pas ici de contenter l’esprit de système des marxologues qui tiennent encore le coup, s’il en reste. Ce qui compte plutôt, pour moi, c’est d’extirper tout le suc démonstratif et argumentatif contenu dans cette si riche tirade de l’opium du peuple. Croyez-moi, elle n’a pas encore livré tous ses secrets, comme je vais tenter de le démontrer dans le présent essai, clé de lecture en main.


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