Ce que nous racontent les trembles, un recueil de nouvelles de Thierry Noiret
Pointe-aux-Trembles, où je me lève matin après matin, redevient à chaque jour une promesse, un espoir, un futur décor pour y peupler mes habitudes et m’y promener en toute quiétude. L’inquiétude, les remords et les soupirs n’habitent pas ici. […] Il y a tout au contraire ce trop-plein d’émotions, de découvertes, de rencontres possibles. Il me faut chercher les recoins secrets, les ruelles où jouent les enfants, leurs cachettes, les lieux de rendez-vous des amoureux illégitimes, les petites encoignures magiques, les forces telluriques et, pourquoi pas, les sources encore à forer, les caches où se terrent les divinités locales ou les humbles chaumières d’où, le matin, s’extirpent les humains.
Une île, douze nouvelles, un arrondissement qui souligne en 2024 ses 350 ans d’existence : Pointe-aux-Trembles. Et Thierry Noiret le raconte dans un style sobre, simple, dépouillé, direct, agréable et vif. Le texte est engageant, naturel. On prend place, tout simplement, dans son univers, en compagnie de sa conjointe, de son voisin et des différents personnages réels et imaginaires qui se mettent à peupler son petit monde, tout en parcs, rives, rues et avenues numérotées. Et on y est un peu comme en famille. Et cela est susceptible de satisfaire amplement tous types de lecteurs, qu’ils habitent à Pointe-aux-Trembles, Rouyn ou Namur.
Première diffusion : 12 septembre 2024 ; Poids : moyen ; Collection : Nouvelles
Prix sur 7switch : 3,49 € - 4,99 $ca
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En version papier, l'ouvrage est disponible sur Amazon, notamment sur Amazon.ca
ISBN : 978-2-924550-96-0
Extrait 1 : Descente matinale aux enfers
Alors, est-ce pur hasard ou faiblesse ou erreur de programmation du système, l’ambiance semble se détendre, les lumières s’éteindre ou au moins s’estomper, alors des bonsoirs fatigués sourdent de partout, une main, parfois même, vient se poser sur notre épaule :
« Tu vas rater ton bus. »
Alors vient, comme inespéré, le temps de regagner notre presqu’île aux trembles. Il nous faut encore survivre aux ascenseurs bondés où jamais ne circule un gramme d’air frais, regagner un arrêt d’autobus où l’humanité entière s’est donné rendez-vous. Pouvez-vous imaginer en file indienne ce que représente l’humanité ? Et le bus déjà bondé, sans aucune parcelle viable pour poser les pieds qui, malgré vous, vous happe et vous comprime les membres jusqu’à vous arracher à la troisième dimension, faire de vous une trace rectiligne sans consistance. L’interminable trajet de bus qui se laisse flotter au gré du fleuve capricieux.
D’intrépides lumières rouges, encore elles, s’efforcent de nous empêcher de jamais passer, jamais regagner notre presqu’île, notre bout du monde chichement épargné. Mais, grâce à Dieu, les lumières un jour se laissent attendrir, verdissent, ouvrent le passage et le bus imperturbable nous approche de notre repaire. Si les abords du fleuve, au moins, se voulaient moins industrialisés, s’ils nous laissaient contempler quelques instants le mouvement des vagues qui nous tendent les bras pour nous raccompagner dans nos foyers. Mais non ! Tuyaux, pipe-lines, citernes, fumées, postes de transformation électrique, wagons de marchandises, containers, cales de bateaux marchands et rails qui ne mènent nulle part nous bouchent la vue.
Telle une tortue boiteuse, notre véhicule se fraie un chemin de lenteur jusqu’aux frontières de notre petite vie. Boulevard Saint-Jean-Baptiste là est la frontière, là, plus que la civilisation s’étend la civilité que nous pénétrons soulagés. Soulagés mais penauds de véhiculer sur nos épaules basses tant de grisaille fermentée dans le quartier des affaires.
Les arrêts de bus nous expulsent, l’un après l’autre, dans nos foyers où, sans doute, brûle de nous retrouver quelque visage familier. Nous nous hâtons, non sans prendre quelques secondes sur le pas de la porte, pour contempler l’air, non pas transparent mais lumineux de ce parfum de liberté qu’inspire la pointe de l’île.
Il nous arrive même de rester là à nous abreuver de ciel, en attendant que se couche le soleil. Puis, quand est venu le soir, quand, précautionneusement afin de n’éveiller aucun soupçon, nous refermons derrière nous les portes de l’enfer, nous nous disons, très doucement d’une voix incertaine, presque un chuchotement :
« Aujourd’hui, encore j’ai vécu. »
Dans notre for intérieur, quelque mauvaise âme nous répond :
« À demain. »
Extrait 2 : Leçon de toponymie
Lors d’une rencontre familiale, j’étais revenu sur mon sujet favori :
« Je n’ai jamais habité une rue anonyme, identifiée uniquement à l’aide d’un pauvre petit numéro à peine plus grand ou plus petit que ses voisines. Dieu m’en préserve ! Ici aussi, à Pointe-aux-Trembles, je me suis gardé de visiter les maisons en vente sur les rues numérales.
— Sais-tu au moins à quoi ou à qui tes rues faisaient référence ? me rétorqua mon beau-frère.
— Rue de Bordeaux, ça m’allait parfaitement, dis-je en riant !
— Tu voudrais-tu donner ton nom à une rue ? renchérit mon voisin.
— Absolument pas ! Non, je n’ai pas cette prétention ! Quoique… l’idée n’est pas pour me déplaire. Tout serait mieux qu’un numéro ! Non ?
— Auquel cas tu aurais mieux fait de choisir une rue numérotée, reprit-il ! Tu aurais peut-être eu une chance !
— Et notre rue actuelle, s’enquit ma conjointe, d’où vient son nom ? Le sais-tu au moins ?
— Un maire de Pointe-aux-Trembles, dis-je ! J’ai vérifié à la commission de toponymie. J’aime savoir où j’habite. »
La conversation dériva sur les jardins du quartier, les rues arborées, les promenades sur le parc linéaire et les nombreuses vues sur le fleuve où je prenais plaisir à flâner tôt le matin.
« À propos de parc, savez-vous qu’un de nos ancêtres a vécu ici ? lança mon beau-frère. Et ça va te plaire, ajouta-t-il à mon encontre, toi qui cherches des noms de héros ! À la pointe de l’île, un très beau parc, rue Bellerive, adossé au fleuve a pris son nom : Pierre Payet dit Saint-Amour. »
Je savais en effet depuis longtemps que les Saint-Amour constituent la branche familiale maternelle de mon amoureuse… Doit-on encore s’étonner que le destin ait voulu que l’on décide de s’installer et vivre notre amour ici ?
Extrait 3 : LEntrevue avec le narrateur
— Pourquoi venir habiter à Pointe-aux-Trembles, me demandez-vous ? Pourquoi ce lieu-là ?
… pourquoi vient-on ici ? pourquoi reste-t-on en ce lieu, pourquoi le quitte-t-on… pourquoi aussi en parler ? Tous les lieux que j’ai connus et habités sont venus s’échouer dans mes textes… c’est aussi simple que ça… quelque part, ce sont toujours des mots…
— Le hasard de la pandémie, du calme de la pandémie, certes, qui nous a fait fuir la ville, le hasard d’une maison qui nous a fait un clin d’œil, le hasard d’y être déjà venu, d’y avoir passé furtivement quelques soirées il y a dix ans. Ceux qui y ont habité, y ont travaillé, n’oublient pas. Le bout de terre au boute de Montréal occupe à jamais un petit espace de notre mémoire vive, une idée des confins, un parfum de bout du monde. Il y a d’ailleurs une anecdote qui prétend qu’au-delà des raffineries, le monde s’écroule, seuls les Pointeliers savent que là il reste un pan de terre pour y vivre. C’est un secret bien gardé !
— Pourquoi en faire un sujet du recueil ?
… parce que j’y habite serait la réponse facile… je pourrais lui répondre ça comme ça… mais pas très vendeur… écrire pourtant c’est faire semblant d’inventer, c’est mijoter ce qui nous entoure à une sauce ou une autre : suspense ou drame, bluette ou épouvante, détectives ou couple en perte de vitesse… raconte-t-on jamais rien d’autre que ce que nous connaissons trop bien…
— Non je ne suis pas venu à Pointe-aux-Trembles, en mal d’inspiration. Je ne cherchais pas de nouveaux sujets pour mes récits. Si j’ai choisi l’arrondissement comme sujet central de mon recueil de nouvelles, c’est d’abord grâce à ma rencontre avec un éditeur du quartier qui se laisse aussi inspirer dans ses écrits par notre arrondissement. Il m’a incité à regarder encore mieux autour de moi et à trouver les mots nécessaires.
… il y a le fleuve aussi, dois-je déjà parler du fleuve ? Cet aimant liquide que j’ai longtemps cherché… le Saint-Laurent est Pointelier, il nous côtoie de son humeur tantôt limpide, tantôt pressée, il nous raconte l’Ouest, il nous apporte le vent, la pluie, la froidure des grands lacs et du continent, il nous emmène avec lui à l’assaut de l’océan…
— L’arrondissement a étendu, comme à mes pieds, un espace pour écrire. Cette notion d’un finistère, d’une terre des confins, nous oblige, nous personnes sensibles à l’écoute du milieu dans lequel nous évoluons, à parler, à écrire, à raconter notre vécu, avant d’enjamber le fleuve et de rejoindre l’autre rive. Le lieu est magique savez-vous.
… ça c’est plus vendeur, la magie c’est bon… elle est partout, il suffit de la débusquer…
— Comment ça ? Hé bien réfléchissez, c’est ici, au bout de l’île que Rive Nord et Rive Sud se rejoignent, qu’elles peuvent dialoguer, que d’un regard, nous, nous pouvons toutes les deux les contempler. Habiter un tel lieu au bord de l’érosion, une frontière naturelle, une plage où doivent faire demi-tour les quadrupèdes, une proue pour l’Île de Montréal.