Erell, un roman de Loana Hoarau
Un jeune homme est dans un wagon de train, seul, pour un court déplacement interurbain que l’on suppose voué à être sans histoire. En toute tranquillité d’esprit, il se prépare à aller porter un cadeau d'anniversaire à un membre de sa famille. Il est alors abordé par un petit loubard qui doit avoir à peu près son âge. Et notre jeune homme bien mis, soucieux de sa belle image envers les pairs qu’il s’en va rencontrer, se fait violenter et détrousser, par ce malabar inconnu. Il finit dépenaillé, dépouillé, catastrophé, sur un quai de gare. La perturbation qu’il a subie est cataclysmique. Des chocs traumatiques plus ancien, enfouis dans l’enfance, se font-ils alors jours, en cette tempête spécifique ?
Ce mystère-là restera complètement opaque, pour nous, lecteurs. Tout ce que nous découvrirons, c’est que, suite à ce douloureux incident, ce jeune homme une petit peu précieux va complètement disparaître, pour son groupe de pairs. Et c’est alors que nous allons assister à l'apparition de Erell. Comme notre jeune homme a subi un effet intérieur dévastateur, suite à cet événement ponctuel, il va littéralement changer de vie. Il va devenir une prostituée travelo qui vit dans sa voiture et fait le tapin en plein air, dans son petit espace boisé attitré. Désormais, Erell attend le client. Le john sensuel… le john sadique… ou les deux.
Et, comme souvent, c’est ce que l’on n’attend strictement pas qui finit par survenir.
Première diffusion : 8 octobre 2022 ; Poids : moyen Collection : Romans
Prix sur 7switch : 3,49 € - 4,99 $ca
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ISBN : 978-2-924550-71-7
Extrait
La nuit est très froide. Personne à l’horizon. Vraiment personne. Je me demande ce que je fous là, au final. Presque cinq jours d’absence et déjà aux oubliettes. Mes habitués se sont déshabitués.
Je reste bien une bonne heure. À me tourner les pouces. À faire les cent pas. Pour me réchauffer. Le peu de tissu que je porte ne me ménage pas. Le froid abîme tout. Même la plus grande volonté du monde. Même le client est frileux. J’aimerais aller me coucher. Dans un bon lit bien chaud.
Je repense à l’hôtel. Son confort. Une petite parenthèse de bien-être. Des rires débiles qui font du bien à l’âme. Ça me fait sourire. J’ai hâte de gagner un peu d’argent. Pour pouvoir avoir le luxe d’y retourner. Deux jours de passes. Puis deux nuits au chaud. C’est un nouveau concept. Mais je ne suis plus seul. Je n’ai plus ma voiture. Gabi a besoin de moi. C’est tout ce que je vois. Il a besoin de moi. Je me sens investi d’une mission. Je dois sauver ce gamin. Puisque je ne me sauve pas moi-même.
L’heure passe. Le froid attaque mes bronches. Personne n’est passé me voir. Je suis allé un peu plus loin. Pour voir ce qui se passe dans le carré attitré d’une autre. C’est le calme plat pour elle aussi. Tout se perd.
Je décide de retourner dans mon antre. Sans argent. Il doit me rester dix euros, tout au plus. De quoi payer le café demain. Et un croissant pour le gamin. Il ne dort pas. Il m’a attendu. Appuyé contre le mur pour garder sa chaleur. Il se redresse pour me regarder. Il semble soulagé que je sois sur mes deux jambes. Lui par contre ne va pas fort. Il a une solide quinte de toux. Il tremble de tous ses membres. Frigorifié. Il a passé le troisième duvet sur lui. Il l’enlève en me voyant. Je lui fais signe que non.
Garde-le. Tu en as plus besoin que moi, je crois.
Il ne dit pas non. Il se rappuie contre le mur. Son visage est pâle. La lampe torche me laisse entrevoir sa douleur. Je mets un pantalon et mon sweat à capuche. Je m’assoie à côté de lui. Il me dévisage encore. Questionneur.
T’as pas eu de souci ?
J’ai rien eu tout court. Pas un seul client. Il fait trop froid pour eux aussi, apparemment.
Tu vas y retourner demain ?
Oui. On a plus de quoi bouffer.
Tu crois que si moi je… si je… Je veux dire… Si je fais comme toi pour…
Je me retourne brutalement. Ça me fait mal aux côtes.
T’avise même pas à y penser. Je t’interdis d’y penser.
J’ai déjà des bleus partout. Je ferai très bien illusion. Cinquante euros, faut pas cracher dessus.
Je refuse que tu ailles…
Que j’aille quoi ? Montrer mon cul ? Sucer des bites ? Je l’ai déjà fait. Ça changerait quoi ?
Déjà, t’es mineur. Et puis c’est pas pour toi, ce monde-là.
Qu’est-ce que t’en sais ?
Je sais pas ce que tu as vécu, mais je t’assure que…
Non, tu sais pas, justement.
Je veux pas que tu t’abaisses à ça.
T’as rien à me dire. T’es pas mon père.
Il se mord les lèvres. Il ne voulait pas le mentionner. Il se rend compte qu’il a parlé trop vite. Il se recroqueville et tousse encore.
Toute façon, je suis pas en état. Je vais crever comme un chien ici.
Je t’emmènerai voir un docteur demain.
Arrête de dire des conneries. Si je vais voir un docteur, il contactera mes parents. Il verra mes cicatrices. Et on me foutra dans un foyer. Je veux pas qu’on me foute dans un putain de foyer.
Silence. Je ne sais pas quoi dire. Il reprend, plus calmement.
J’aurais dû parler, hein, c’est à ça que tu penses. Tu connais pas ma famille. Tu connais pas ma mère. Elle ne m’aurait pas cru. Personne ne me croirait. Mon père est tellement formidable avec tout le monde. Il est tellement aimé. Il est tellement… j’ai essayé de parler. Plusieurs fois. Mais… mais j’avais peur des réactions. J’ai peur, encore, tu comprends ? Tout sera déballé au grand jour. Et ça, je veux pas. Je veux pas.
Je n’ose pas lui dire que je suis dans la même situation. La même. Ça m’effraie de l’entendre dire ça. C’est comme si mes pensées parlaient. Comme si je les entendais. Comme si quelqu’un dévoilait le moindre de mes secrets au grand jour. Ça m’effraie.