Christina Mirjol
Qui suis-je ?
Je suis née en 1949 à Casablanca où j'ai vécu jusqu'à l'âge de sept ans. Je vis aujourd'hui à Paris. C'est à l'enfant que j'ai été que je dois d'écrire aujourd'hui.
L'écriture est un retour merveilleux vers ce qu'on est profondément. Elle ne l'a pas toujours été. C'est-à-dire qu'il n'en était pas question. Pendant de longues années, un objectif plus grand occupait mes pensées : il fallait parler… Ainsi de l’écriture que je m’interdis, que je sacrifie sur l’autel du théâtre, auquel je me dédie entièrement, passionnément.
Qu'est-ce que je lis ?
C'est dans l'année de mes quatorze ans que m'apparaissent quelques-unes des préoccupations esthétiques de la littérature et que je découvre la joie qu'elle me procure. Je dois mon premier élan littéraire à Blaise Cendrars et à La Prose du Transsibérien que mon professeur de français nous fait lire dans la classe. J'éprouve un plaisir incomparable à dire et à entendre la scansion sonore du poème, son rythme métaphorique.
Du plus lointain passé dont je me souvienne, je n'ai pas la parole aisée. Je me souviens que je suis timide et que je bafouille, que je ne peux pas faire sortir le noyau de parole qui m'étouffe. Or, là où je suis muette sur bien des choses, le livre prend en charge ma parole disloquée et l'ordonne.
Qui ne voudrait habiter dans toutes les langues quand il lit Pessoa, Melville, Borges ou Virginia Woolf ? Selma Lagerlöf, Elizabeth Bishop ou Kafka ? Par chance nous avons Flaubert et Rimbaud, La Douleur de Duras, Moralités légendaires de Jules Laforgue, nous avons Michaux…
J'entends toute la littérature russe comme une polyphonie succédant au génie fondateur de Pouchkine et à la clarté de son œuvre sublimement tournée vers la quotidienneté. Gogol, Dostoïevski, Tchekhov, Boulgakov, Harms ou Zamiatine, hantent ma bibliothèque.
Je peux dire de Robert Walser et de son œuvre immense que je ressens sa langue comme une terre natale.
Qu'est-ce que j'écris ?
De la parole. Ma première publication pour le théâtre est un répertoire de « cris ».
Quels qu’ils soient, je ressens le besoin d'exprimer par la voix mes écrits. Qu’ils aient ou non besoin d'une voix pour exister, je désire qu'on entende ce qui est écrit.
Je commence à vouloir écrire en 1999. Ce ne sont pas seulement les quelques morceaux épars d'écriture que je livre à la scène qui m'y poussent, et, paradoxalement, ce n'est pas l'écriture. C'est quelque chose de plus lointain, qui se passe bien avant, au temps de la parole, de la tragique naissance des mots, dont je pressens, très jeune, la fin inéluctable. Écrire pour faire parler, faire entendre des voix appelées à s'éteindre, je ne saurais donner une plus juste définition à mon acte d’écrire.