Liliane, petite niaiseuse à lunettes : chroniques du Collège de l'Assomption de Marie-Andrée Mongeau
Ces chroniques du Collège de l’Assomption, de Marie-Andrée Mongeau, couvrent les années 1970 à 1975, avec quelques incartades à la fin des années 1960 (à l’école primaire), en 1992 (pour le conventum de promotion), et au vingt-et-unième siècle (pour les réunions d’anciens, remises de prix d’enseignants retraités, amicales diverses). L’écrivaine nous parle ici de choses qui lui sont, en bonne partie, vraiment arrivées. Simplement, elle nous installe à l'intérieur d'un univers semi-imaginaire, gravitant autour d'un personnage portant le nom de Liliane Rancourt (nom fictif). Liliane est une jeune fille assez austère d’allure et portant des lunettes. Elle jette sur son univers social un regard sobre, intérieurement intense, désabusé, sardonique et caustique. C’est cette même Liliane que l’on retrouve, à peine quelques années plus tard, dans L’été olympique, ouvrage à quatre mains coécrit avec Daniel Ducharme.
Presque tous les faits évoqués dans cet ouvrage se passent à une époque où, au Collège de l'Assomption, la mixité estudiantine n’était en place que depuis 1966. Cela ne fait que quatre ans qu'il y a des étudiantes dans cet établissement d'enseignement privé de la région de Lanaudière (Québec, Canada), lorsque Liliane y arrive en 1970. On découvre que les jeunes femmes, il y a cinquante ans, vivaient dans un univers institutionnel où les injustices tranquilles qu'elles subissaient étaient permanentes, implicites. Lire cet ouvrage, c'est une occasion, notamment pour les jeunes filles, de mieux comprendre comment ont vécu leurs mères et leurs grand-mères, à une époque que l’on devine heureuse, mais que l'on souhaite aussi révolue. Autre enfance, autres temps.
Première diffusion : 15 mars 2023
Poids : moyen Collection : Essais
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ISBN : 978-2-924550-74-8
Extrait 1
Alors que je m’amusais bien en compagnie de Marsouin, Rot m’agaçait prodigieusement. Un jour, Rot avait dit de moi que j’étais trop sage. Il s’avère qu’il m’avait intensément insultée. Voici un extrait du journal de bord de la capitaine Rancourt (c’est moi !) qui relate ce fait :
« 1er décembre 1972. Ça commence bien le cours de géo, je suis derrière Marsouin et à côté de Rot ! Marsouin commence par me piquer mon coffre à crayon, puis se déclare très gentil. Rot met son pied sur ma chaise et la fait brasser. Puis… il me dit que je suis trop sage pendant les cours ! »
On peut voir ici l’étendue de l’injure ! Quoi ? Je suis trop sage ? Tout de même, j’ai été intensément troublée. J’ai même fait mon examen de conscience pendant la fin de semaine qui a suivi, et établi une liste de correctifs :
« Le 3 décembre 1972 (dimanche). Je réfléchis à ce qu’a dit Rot en géo. C’est vrai que je ne parle pas beaucoup pendant les cours. Je suis trop sage. Lundi je vais corriger ça. En français je vais parler avec Justine. Et rire. En maths, je vais aussi me mettre à côté de Justine et on va se tirailler. En éducation physique, rien à me reprocher, je niaise assez. En anglais, je n’arrêterai pas de parler, surtout si Marsouin est à côté de moi. En latin, pas besoin de changement, je parle déjà beaucoup. Et à l’étude, je ferai le bilan de ma journée. »
Pour qui voudrait me donner le crédit du second degré, je suis au regret de dire que non, tout ça c’était du direct, sans subtilité particulière.
Je me suis si bien corrigée, qu’en mars 1973, je me plaignais amèrement parce que certains profs me traitaient d’insolente… On ne peut pas tout avoir. On a les défauts de ses qualités. Et autres dictons philosophiques qui me permettaient de prendre tout ça avec résignation. Et de rester insolente.
Extrait 2
Donc, les laïcs allaient prendre graduellement les emplois des croûtons en place depuis déjà plusieurs décennies. Mais nous n’en étions pas encore là en 1970 et, parmi nos professeurs, nous avions encore plusieurs abbés. Et parmi ces abbés, deux frères jumeaux, les abbés Bernard, âgés d’une cinquantaine d’années.
Physiquement, ils se ressemblaient, comme il se doit pour des jumeaux identiques. Ils avaient suivi la même formation, avaient choisi tous deux le même apostolat, autant du côté de la prêtrise que de celui de l’enseignement. Alors que l’un enseignait le latin, l’autre enseignait l’histoire. Mais on ne pouvait imaginer plus dissemblables en termes d’attitude : c’étaient docteur Jekyll et mister Hyde. Les deux faces de la même médaille. On les voyait rarement ensemble, mais personne n’avait jamais douté de leur existence séparée.
Les deux abbés Bernard avaient pour surnoms Harris et Killer. Alors que Harris, en sarrau blanc (et col romain), menait son cours de latin de façon débonnaire, son frère Killer, en veston noir (et col romain), semait la terreur dans son cours d’histoire. Les craies et même parfois les brosses fusaient en direction des élèves délinquants.
Harris se proclamait lui-même « sage et ramolli ». Un jour, alors que nous étions en train de méticuleusement traduire des phrases latines dans notre cahier (heureusement ce jour-là c’était mon cahier de latin et non mon journal de bord !), il passa dans les rangées pour vérifier notre application. Il s’arrêta à mon bureau pour corriger une erreur de mon travail en soulignant et encerclant trois fois au crayon rouge dans mon cahier tout propre. Je risquai un timide « Hé, ne barbouillez pas trop ! ». Il s’est senti insulté et commença à dire qu’il ne me connaissait pas sous ce jour-là et que la prochaine fois il me les barbouillerait exprès pour me faire choquer. Je lui répondis que ça ne faisait rien à moi, puisque c’est lui qui allait devoir corriger mes feuilles barbouillées. « Je ne te croyais pas si maligne », proféra-t-il, avant de s’éloigner, drapé dans sa dignité. Je me sentais un peu mal. Pauvre Harris, je l’avais peiné… Deux jours plus tard, alors qu’il surveillait une période d’études, il s’approche de mon bureau. Je croyais qu’il allait barbouiller ma feuille, pour se venger. Il s’arrête et me demande : « Es-tu encore bin choquée ? » Surprise, je dis que non, et il part en souriant de tout son dentier. Sacré Harris, qui ne pouvait pas rester fâché si longtemps !
L’atmosphère des cours d’histoire était toute autre. Dès les premiers temps, alors que Killer, dit « l’abbé des craies », nous parlait de la période du moyen âge et du mystère des riches dans la cavalerie tout au long de l’Histoire, un élève argumente qu’il n’y a rien de mystérieux là dedans et il compare ce « mystère » au mystère des pauvres en Volkswagen… Il se mérite une craie. Non, le bon sens n’était pas toujours valorisé.
Un jour, Harris avait été malade et avait été remplacé par son frère Killer pour donner le cours de latin. Personne ne s’était aperçu de la substitution, d’autant plus que Killer avait, pour l’occasion, endossé un sarrau blanc.
Il entra et se rendit jusqu’à son estrade à l’avant sans piper mot, s’appuya sur son bureau et nous dévisagea, chacun notre tour. Personne ne lui prêtait trop d’attention, après tout la cloche n’avait pas encore sonné donc nous n’avions pas de raison de nous tenir particulièrement sur nos gardes. Et pourtant, dès le son de la cloche, après un sourire sadique annonciateur d’un orage que seuls quelques-uns d’entre nous ont pu percevoir, Killer s’empara d’une craie et la propulsa au travers de la classe avec vigueur. Le bruit sec qu’elle fit en s’écrasant sur le mur arrière fit sursauter tout le monde. Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que tous les élèves se rendent compte de la méprise et reprennent leur place. En silence. Non, Killer ne rigolait pas avec la discipline !
Une des leçons que j’ai tirées de ma période au collège est qu’il faut toujours regarder du-delà des apparences. Comme si avoir appris en entrant au secondaire qu’une toute petite et frêle dame pouvait inspirer une angoisse sans nom ne suffisait pas, voilà qu’on nous confrontait, en troisième secondaire, aux perfides sosies à la similitude si illusoire…