La Branleuse
La branleuse est un roman violent et provocateur,
tout en étant comique, comme peuvent l’être parfois les tragédies
humaines. Ce roman est également le premier que j’ai écrit, le traversant
jusqu’au bout de sa nuit pour l’oublier dans un tiroir pendant onze
années de totale indifférence. Un ami proche mais vivant maintenant
loin de moi a eu ce geste touchant de ne pas avoir oublié un texte
auquel je ne pensais plus moi-même. Avec l’aide d’une équipe formidable,
compétente et surtout patiente, mon vieux roman a revu le jour à ma
plus grande émotion et m’a rappelé la période heureuse mais perdue
de sa conception.
À l’époque je vivais une vie de jeune mère étudiante
qui faisait une thèse de doctorat sur la littérature et je désirais
tenter l’expérience de l’écriture romanesque complète, histoire de
me mettre à la place des écrivains dont j’étudiais les œuvres. Ce
roman est donc devenu en quelque sorte le frère jumeau de papier de
ma thèse et il naquit plus ou moins en même temps qu’elle.
Première diffusion le 30 janvier 2011
4,99 € - 6,49 $ca sur 7switch | Poids
lourd | Romans
ISBN : 978-2-92391-614-9
Plus d’infos
Un échantillon :
En bas, on court dans tous les sens, les portes s’ouvrent et ne se
referment pas. La panique et l’émoi gagnent la maison, qui se refroidit
d’un coup, ouverte à tous les vents, jusque dans ma chambre douillette
et mon lit tiède et doux, dont les draps me glacent tout d’un coup.
Je bondis hors du lit, pour dévaler l’escalier et sauter sur la terrasse.
Il y a plusieurs chasseurs autour du Vieux et tous semblent sous
le choc de quelque chose de terrible. Je ne sais plus, en vérité,
qui était là. Je sais que le père Gauret, le voisin viticulteur, était
forcément là, car c’est le compagnon de chasse du Vieux et il habite
en face de chez nous. Je ne sais pas si le Braconnier était là aussi.
Dans mon souvenir trouble je crois voir son visage dur et fermé. J’ai
l’impression que c’est déjà à ce moment que son regard sombre a croisé
le mien. Mais je n’en suis pas sûre.
C’est le sang que je vois. Je ne vois que lui. Un sang épais, visqueux
et comme en voie de coagulation. Un sang qui semble s’accrocher partout,
sur les vestes des chasseurs, dans leurs cheveux, sur le canon de
leurs fusils, qui se mêle à la fourrure des chiens et qui s’est aussi
répandu sur le sol, en une traînée rouge et liquide. Je suis des yeux
la trace sanglante, qui remonte jusqu’aux voitures dont les portes
sont restées béantes. C’est de la voiture du Vieux que le sang a l’air
de s’écouler, comme d’une fontaine. Les sièges, le volant, les poignées
des portières de la voiture du Vieux saignent d’un sang qui ne ressemble
pas à celui des oiseaux, trop pâle, trop léger, trop exsangue en quelque
sorte. C’est du sang humain, sans aucun doute.
Me croyant en pleine tragédie familiale, je panique et je crie « papa »,
un moment d’inattention à vrai dire, mais la grosse main calleuse
du Vieux me bouscule violement avec un « pousse-toi de là, toi »
qui ne sent pas la mort du patriarche. Je reprends un peu mes esprits,
pour m’apercevoir que je suis sortie en chemise de nuit. C’est une
chemisette d’été en coton très léger, transparent, avec des rubans
pour bretelles. En me poussant, le Vieux a déchiré un pan entier du
vêtement et je me retrouve à demi nue, avec un sein à l’air.
Je prends alors conscience du regard des chasseurs qui s’est figé
sur ce petit sein rose, rond et dur, certainement différent des nichons
en forme de gants de toilettes et autres énormités de leurs épouses
respectives, et qui est à leur portée, en pleine lumière. En voulant
me rhabiller, je rencontre sous mes doigts la viscosité du sang qui
s’est collé à ma peau pendant la bousculade. Pieds nus sur la terrasse
froide, encore tiède et ébouriffée de sommeil, la poitrine offerte
et souillée, je pressens étrangement, comme une devineresse, que je
serais le prochain gibier de cette chasse nouvelle.
Dans deux jours, j’ai seize ans.
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Qu’en a dit
le Comité de lecture ?
Le récit, son fonctionnement, sa mécanique :
Histoire de femme et, plus clairement, histoire prométhéenne de femme.
Les thèmes abordés, les thèses défendues :
Thème partiellement anti-Lolita, coming of age douloureux, lucide, cynique, angoisses sexuelles, anorexie,
crise de l’apparence, phallocratisme foutu, dédain du monde adulte, vision critique grinçante de la culture intime
des femmes. Thème de la vengeance et apologie de la délinquance.
Le ton et la construction de l’ambiance :
Combinaison corrosive de drame et d’humour. Ironie solidement caustique et railleuse.
L’impact empirique (narratif et descriptif) du texte :
Sensation et visualisation extrêmement efficaces. Sensualité juvénile
bien évoquée. Les sens olfactif et gustatif sont souvent mis en alerte.
Genre(s), originalité et réminiscences littéraires, volontaires ou non :
Touche rabelaisienne ou san-antonienne particulièrement maîtrisée. Sens vif de la farce tragi-comique et de la dérision.
Un sous-élément policier garde la curiosité en alerte, sans excès.
Langue et registre linguistique :
Jouissance libre et libertaire de la langue, y compris de la langue vernaculaire hexagonale, genre Zazie ou Petit Gibus.
Conclusion : À publier…
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Laurendeau est emballé
Élève de lycée préparant le bac, Diane glandouille
et semble investir une portion significative de son énergie intellectuelle
et émotionnelle à copieusement mépriser l’intégralité de l’univers
social ambiant. Celui-ci le lui rend bien, au demeurant, en la surnommant,
sans aménité, la Branleuse. Dans le petit village
des rives de la Garonne qu’elle habite avec son père, sa mère son
frère, le rythme de la vie s’active et prend corps avec la saison
de la chasse au petit gibier. La chasse contemporaine, telle que l’observe
Diane, n’est plus que l’ombre de ce que fut cette noble tradition
française. Les chasseurs ont dégénéré, au sens littéral du terme.
Leurs passe-temps cynégétiques et gastronomiques déclinant ne seraient
plus qu’une brutalité micro-meurtrière pour morfales et ivrognes nostalgiques,
déclassés et marginaux et cela n’intéresserait pas grand monde… Mais,
triste bondance, il faut que l’ardeur écolo, simplette, citadine,
généreuse et myope, se plonge les mains jusqu’aux coudes dans le sang
des faux faisans sauvages d’élevage. Cette année-là, un militant écolo
est lardé de plomb dans les bois dans des circonstances obscures,
opaques, fétides. Il y a mort d’homme et l’affaire est étouffée. Mais
Diane en a les sangs littéralement fouettés. Elle sent que son père
est fort probablement mouillé dans ce fait divers sordide et cela
fait puruler en elle des plaies plus anciennes, plus cuisantes.
Diane se met donc en chasse, curieuse, fouisseuse.
C’est le patriarcat en grande capilotade, enflé, gangrené, éructant
qu’elle se doit de fouailler de sa petite curiosité salace et grugeuse,
dont le cynisme et la rouerie ne masquent qu’imparfaitement le trouble,
l’angoisse, la fragilité. Mais, au milieu de cet univers de masculinité
déliquescente, lâche et brutale, se niche le Braconnier. La pureté
et la proximité à la nature qu’il incarne encore sont-elles authentiques
ou fait-on face ici aussi à un autre type de fausse sauvagerie de
toc ? Pour le savoir, Diane, bouffée par la faim, la curiosité et
le désir naissant, va devoir, sans espoir de retour, dévier de sa
trajectoire initiale de chasse. Une quête douloureuse et toxique,
une dérive sociologique implacable, se mettra alors en place, qui,
de son village, à Bordeaux, puis à l’Angleterre, puis au Canada, finira
par la mener d’hommes en hommes, dans une ambiance globale de jobardise
gamine virant graduellement à la plus insensible des lucidités et
à la plus amère des cruautés. Les plombs purulents et mortels voleront
alors dans toutes les directions. Il va y avoir de la putasserie,
de la boulimie et de la mort sale. Et cela nous sera jeté au visage
avec une naïveté et une candeur d’exposition qui tranche incroyablement
dans le vif de toutes nos habitudes littéraires.
Un roman du coming of age féminin où le
comique le plus rabelaisien côtoie la douleur intérieure la plus virulente.
De ce purin fielleux et acide du grand terroir foutu dont hérite la
jeunesse contemporaine, peut-on encore voir s’extirper les fleurs
sombres, feutrées et onctueuses de l’amour vrai et du sens élevé de
la quête de soi ?
Née en France il y a quelques années, Amélie Sorignet
a longtemps vécu à Toronto où elle s’est intéressée à la littérature,
aux arts de la scène et à la mode. Depuis septembre 2010, elle vit
en Chine où elle enseigne l’anglais. Ceci est son premier roman.
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