Excroissances personnelles, un recueil de nouvelles de Jean-Pierre Bolduc
Une série de miniatures en prose incisives, confinant à l’insupportable, tant dans le traitement que dans les thématiques extraordinairement ordinaires, qu’elles saisissent et relaient. Les textes de fiction, très brefs, du présent recueil forment un vrac étoffé d’évocations de sentiments intérieurs, à travers l’interprétation expressive (aussi au sens dramatique du terme) d’un lot restreint de réactions sociales. On y exprime, très explicitement, des sentiments frustrés, rageurs, des évocations de situations tendues, conflictuelles. Ces sentiments et ces situations sont les émanations de problèmes particuliers, vécus antérieurement et/ou revécus intérieurement… ressassés… ruminés… Les individus évoqués ici, de texte en texte, varient. Ce sont des hommes, des femmes, des ados bien verts, des briscards blanchis sous le harnais. Ces gens - habituellement une personne par texte - se retrouvent dans des situations de mésaventures, variables elles aussi. Ils rencontrent une personne qu’ils ne veulent pas voir. Ils ont des ennuis dans leur emploi. Ou ça peut être un étudiant qui est confronté à son prof. Ou un prof qui rabroue un étudiant. Ça peut être des conjoints qui discutaillent (on entend alors une seule voix). Ça peut être quelqu'un qui exprime sa contrariété à l'égard d'une situation de séduction ratée. Les cas d’espèces évoqués sont à la fois hautement variables, nombreux, fourmillants, et d’une banalité (apparente) particulièrement déconcertante, attendu notamment que ces évocations se restreignent fermement aux particularités ordinaires de l’univers interactionnel contemporain. Cette suite d'expressions d'émotions, de sensations, de pulsions, de drames personnels nous donne à entendre les hurlements intérieurs d'une société lisse mais insidieusement tentaculaire, macérant ostensiblement dans l'inertie post-industrielle. On a ici une étude approfondie de la lente putréfaction émotionnelle contemporaine, une intrusion réfractaire dans la caverne profonde et hautement révélatrice et significative de la petite déprime tertiaire au quotidien.
Cet ouvrage n’exprime rien de moins que le mal d'une époque, le mal d'être d'un temps. Et l'incapacité à parvenir à s’exprimer. À fonctionner. À vivre.
Première diffusion : 27 février 2025 ; Poids : lourd Collection : Nouvelles
Prix sur 7switch : 4,99 € - 6,49 $ca
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ISBN : 978-2-924550-99-1
Extrait 1 : J'me connais peut-être mal
J’suis peut-être trop tout seul. L’individualisme à outrance est en train d’me tuer. On commence et on finit seul et quand on a l’impression d’être avec les autres dans la vie, on sait très bien qu’ça durera pas et qu’on s’retrouvera au bout du compte, peu après le dernier moment où on pourra peut-être être avec du monde, tout seul et fort probablement dans l’vide total. C’est ennuyant d’être dans ma peau à une pareille époque. C’est ennuyant d’être dans ma peau, la plupart du temps. Je voudrais tellement être plus proche de tout l’monde et vice-versa ! Tous et toutes uni(e)s dans l’union absolue du début à la fin. Mais c’est juste pas possible. J’ai parfois l’impression que mes rapports humains sont plutôt inhumains. Rapports zombies. J'connais pas grand-monde et j'suis pas certain qu’ce soit d’ma faute. C’est peut-être pas la faute des autres non plus. Y a comme une froideur omniprésente qui n’a jamais raison d’être. J’aimerais tant qu’ce soit plus chaleureux, la majorité du temps ! Faut-il être alcoolique ou toxico pour pouvoir obtenir un peu d’chaleur humaine, en soi ? Faut-il mettre sa main dans l’rond, au sens symbolique ? Ça m’énerve. Ça donne rien, tout ça. Tout n’est qu’apparence, même la profondeur. Tout est une question d’image. Le gros problème avec les gens, c’est qu’ils en savent infiniment plus sur notre apparence que nous-mêmes. Et damné est celui qui n’travaille pas assez sur son apparence ! J’ai peut-être une fort mauvaise image dont on n’veut tout simplement pas me faire part. C’est peut-être autre chose aussi. Mais qu’est-ce que j’ai, bordel ? En quoi ai-je l’air damné ? Qu’est-ce qu’elle a, mon apparence ? Pensons-y une seconde. Sont-ce mes jambes ? J’ai failli pas marcher, après tout ! Je pense moi-même que ma démarche peut sembler un peu chambranlante de temps en temps. Si c’est ça, j’y peux rien et il se pourrait bien que j’puisse pas faire grand-chose pour changer quoi qu’ce soit à ce niveau ! Est-ce ma voix ? Quand j’m’entends, j’aime pas ma voix. J’ai déjà plus d’une fois entendu des enregistrements d’celle-ci et ça m’a toujours énervé. Mais j'suis pas certain qu’il y ait beaucoup d’gens qui aiment vraiment leur voix. Est-ce ma maigreur ? J'suis pas si maigre que ça, mais certain(e)s n’aiment peut-être pas une certaine disproportion d’mon corps. Est-ce mon bedon proéminent ? Personnellement, j’le trouve pas si pire. Est-ce moi dans l’ensemble, ou autres ? Mystère. J’aimerais beaucoup qu’on m’réponde. Mais comme je sais que les gens ont d’la misère à me fournir même les phrases les plus banales et ordinaires, je n’espère pas trop à ce sujet. Je m’demande toujours pourquoi les gens sont pas capables de m’parler normalement. Je commence pas mal toujours les discussions. Et ils sont toujours les premiers à terminer les rares conversations qu’ils peuvent avoir avec moi. Pour pouvoir mettre un terme à l’incommunicabilité, toujours est-il qu’il faut savoir pourquoi il y en a. J'suis peut-être un extraterrestre et je l’sais pas… Le livreur de lait en était peut-être un. On m’a déjà dit pour rire que j’étais le fruit d’un adultère avec le laitier. Mais là je m’éloigne… Revenons à nos moutons humains. Ils ont toujours un air hautain, ou un malaise, ou quelque tremblement vraiment troublant, à mon contact. J’essaie de faire comme si je n’m’en rendais pas compte. C’est alors difficile d’avoir une conversation normale. Malgré toutes les probables bonnes intentions. Est-ce que j'suis si différent ? On est tous pareils mais on est tous différents. Peut-être que j’en fais trop et je l’sais pas. Je fais rien pourtant de particulièrement agressant ! Du moins, je l’pense. Sauf exception, j'suis, sans être calme, pas particulièrement agressif. J’aimerais qu’on me filme un d’ces jours, pour étudier chacun d’mes gestes. On se connaît jamais assez. Ça pourrait en révéler beaucoup à mon sujet. Ça pourrait même m’en dire beaucoup sur mon rapport avec les autres. Pourquoi les gens sont-ils si nerveux ? Puisque je sais hors de tout doute que c’est l’cas. J'suis peut-être trop nerveux moi-même. C’est difficile à évaluer. Comment est-ce qu’on sait quand ça en devient « trop » ? Est-ce qu’ils auraient le même genre de nervosité avec n’importe qui d’autres, de toute façon ? Il me semble qu’à toutes les fois où je vois les gens parler avec d’autres en général, c’est beaucoup plus chaleureux et compatissant. J’aimerais savoir ce qui cloche. Sauraient-ils kek'chose que je n’sais pas, par hasard ? Les gens peuvent parfois être tellement ratoureux ! Tout l’monde parle de tout l’monde dans son dos tout l’temps. Ne serais-je que la pauvre victime d’un ou de plusieurs complots hypocrites ? C’est facile à supposer. Ça m’étonnerait pas. On m’connaît mal, sinon pas du tout. Moi qui suis si calme ! Un calme olympien. J’ai pas besoin de m’prouver quoi qu’ce soit à ce sujet. Mon curriculum vitae parle pour moi. J’ai eu les plus hautes distinctions dans différents cours de relaxation. Des cours du plus haut niveau ! De nombreux professeurs ont souligné plusieurs fois mon calme unique et exemplaire. Malheureusement, ça a mal fini, mais justement, c’est fini ! J’ai peut-être un autre défaut que je n’connais pas et qui les trouble ! Je brûle de savoir c’est quoi, si c’est l’cas. J’espère qu’au moins quelqu’un aurait la gentillesse de m’en faire part. À moins qu’il y ait rien du tout à dire… J'devrais peut-être simplement me renseigner dès que j’ai un doute. Les gens pourraient très bien m’répondre si je pose une ou des questions. Toujours me rappeler que si tu demandes rien, tes chances d’avoir kek'chose, une réponse ou quoi qu’ce soit d’autres, sont bien minces. On n’a rien pour rien, finalement.
Extrait 2 : Règlement de comptes au condo
Merci d’être venu. Eh bien mon cher fiston, voici la situation. Comment commencer ? Voilà, c’est comme ça. Faut bien commencer un jour ! J'suis pus capable de mettre des gants blancs. Eh bien voici : j’endure pus. Tu veux savoir pourquoi ? J’peux pas croire que tu saches pas du tout de quoi j’veux parler… C’est ben simple. Laisse-moi être claire. Ta gentillesse à temps partiel, ta méchanceté à temps plein et ton hypocrisie en tout temps, j’suis pus capable. J’te conseillerais vivement de pas en v’nir aux coups aujourd’hui, car ça risque de t’coûter cher. Et dans une mesure moins extrême, j’t’interdis d’répliquer quoi qu’ce soit. J’t’ai assez entendu pour pus avoir à t’entendre du reste de ma vie. Ça fait trop d’temps qu’ça dure. J’suis au neuvième round, capable de me rel’ver, même si j’ai été mise au tapis à de nombreuses reprises. Ça fait trop longtemps qu’j’endure. J’endure pus ! Comment ai-je pu être aussi poire toutes ces années ? Simplement parce que j’croyais en toi. Et tu veux faire semblant qu’ça t’fait d’la peine par-dessus l’marché ! Non, arrête ta comédie. J’en ai assez. Bon ! Maintenant, j’vais calmer mon ton, puisque ça a l’air à t’chahuter quand j’suis fâchée. Prends ça comme une simple séance de négociation. C’est mieux pour toi. J’vais essayer de rester polie, pour qu’on puisse au moins se quitter en terme relativement bon. Puisque j’imagine que ça va mettre un terme à nos relations, tout ça. J’vais te l’demander poliment. Et prends ça au sérieux, c’est un conseil. J’aimerais que tu arrêtes de m’faire du mal, s’il te plaît. J'suis à l’âge où le mal est décuplé. Est-ce que c’est trop te demander ? J’en peux pus d’souffrir par ta faute, simplement parce que j'suis incapable de n’plus ressentir d’sympathie pour toi. Bien-sûr que ça m’fait du mal. Pour qui tu m’prends ? Une connarde sénile chez qui il fait bon d’brasser ou d’pincer l’bras une fois d’temps en temps ? Une imbécile ? J’vais t’brasser comme tu m’brasses, moi. Tu vas voir si c’est si inoffensif que ça ! Ta fourberie m’atteignait pas avant, mais elle m’atteint aujourd’hui. D’autant plus que si j’me décide à t’dénoncer à quelqu’un, ben y a des marques sur moi. T’es carrément un criminel, mon homme ! Non, je n’me plaindrai pas à la police, quoique… J’avoue que ça m’chicotte. On change, c’est tout. Oh ! arrête de m’menacer, sale con, ça marche juste pus. Y a des jours où on n’est moins faible que d’autres. J’ai pus peur de toi, c’est tout. En profitais-tu parce que j’étais particulièrement vulnérable ces temps-ci ? Et soutirer de l’argent précieux à une personne faible en mimant quelquefois l’affection, t’as constaté que ça marche parfois ? Plus on avance en âge et plus on faiblit. Ça, tu l’sais très bien aussi. Eh bien je marche pus dans tes combines, fiston. Est-ce que ça t’énerve ou ça t’fait plaisir au plus haut point que je sois si faible ? Comment peux-tu me brusquer physiquement et penser que j’vais rester indifférente ? Tu pensais vraiment que j’allais jamais m’en rendre compte ? Non mais faut-tu être épais ! C’est plus plaisant d’attaquer quand l’autre est plutôt sans défense, n’est-ce pas ? C’est quoi la prochaine étape : m’tuer pour que j’parle pas ? Fais attention à c’que tu vas répondre. Idéalement, réponds pas. Quand comptes-tu me rembourser ? J’ferai plus la banque pour toi. Plus jamais. J'sais pas c’qui m’retient d’te chasser immédiatement d’ma maison. Tu t’en vas par toi-même ? Ça, c’est bien ! Tu m’dois des milliers d’dollars ! Tu me feras un virement bancaire par téléphone. Tu m’as assez exploitée, p’tit salaud ! J’veux pus t’voir la face. Va-t’en. Fais attention aux flics en sortant.
Extrait 3 : Mon opinion
Bonjour Monsieur. Veuillez vous asseoir. J’ai bien analysé votre œuvre telle que soumise. Au complet, oui. Je vais vous donner mon appréciation, mais j’ai bien peur qu’elle ne soit pas comme vous voulez ! Mais c’est déjà bien que je vous aie donné rendez-vous, non ? Donc, vous la voulez, mon appréciation ? D’accord. J’vais vous la donner. Voulez-vous que je sois honnête avec vous ? J’pourrais toujours vous faire une appréciation hypocrite, mais je n’pense pas que ce soit du tout correct. Donc voici… j'mettrai pas de gants blancs : comme c’est présenté, ça me semble assez simpliste. Beaucoup trop, en fait. C’est bien beau, l’réalisme, mais ça peut dev’nir vraiment ennuyant ! Vous allez m’dire que c’est voulu comme ça, ennuyant et pesant ? D’accord, mais j’en vois pas l’intérêt. J'suis pour le dépouillement, mais quand même… Faut jamais prendre son contemplateur ou sa contemplatrice pour des chiens savants absolument ouverts à tout et à n’importe quoi. Mais en tant que contemplateur de votre travail, dites-moi franchement : êtes-vous sérieusement satisfait à cent pour cent ? J’attends un vrai de vrai produit fini de vous. Ce que vous m’avez soumis est tout au plus une esquisse, un plan ou une démo vaguement intéressante. Rien d’plus. Remarquez, il arrive que les esquisses, les plans ou les démos soient meilleurs que les produits finis, mais c’est plutôt rare. Oh ! et abordons maintenant le niveau d’l’originalité. Votre travail en déborde pas tout à fait. Y faudrait arrêter de regarder des séries télé d’il y a trente ans. C’est pas bon pour l’imagination. Essayez pas, ça saute aux yeux que vous en regardez. Oh ! mais j'suis désolé d’être si négatif. L’important, c’est d’être constructif. J’aimerais tellement être plus positif avec vous, mais… J'suis déjà bien assez gentil de vous recevoir ! Et si on parlait d’une éventuelle réceptivité par un éventuel public ? Votre produit est tout simplement « socio-économiquement inintéressant ». On ferait une étude de marché là-d’sus et j'suis persuadé que ce serait catastrophique. Ça ne satisfait tout simplement pas aux critères de vente, d’autant plus que vous êtes pas connu, ni influent, ni quoiqu’ce soit d’ailleurs procédant du domaine public. Oui, j’ai bien dormi et oui, ma concentration et ma réceptivité sont au zénith. Et non, malgré mon âge, je n’suis pas un vieux sénile qui n’comprend plus du tout les tendances actuelles. Si vous voulez connaître mes tarifs, j’pourrais très bien vous aider à en faire un vrai bon produit de consommation. Ma secrétaire pourra vous les donner si vous voulez. Probablement qu’il faudrait en rajouter juste un petit peu pour que ce soit bon pour vrai. Allez hop ! Au travail. Organisez-vous pour donner du charisme à tout ça. J'suis encore désolé pour ma critique un peu dévastatrice. Mais à kek'part, je n’me sens pas du tout coupable. Celle-ci n’aide qu’à mieux avancer. Ne jetez pas nécessairement votre travail à la poubelle, mais recommencez. Si vous payez pas pour mes services, voyez au moins avec quelques personnes de votre entourage, qualifiées ou non, où ça pourrait clocher. Vous pouvez pas savoir c’que des avis complémentaires peuvent parfois donner d’bon ! L’instinct est souvent la réponse à tout ! Souvent, pas tout l’temps. Probablement qu’il faille ajouter juste un peu d’fini à tout ça pour que ça soit grandement amélioré, sinon franchement fini et grandiose ! Alors je n’vous retiens pas une minute de plus et vous laisse aller compléter votre travail. J'peux vous réconforter : vous avez un talent de base que fort peu de personnes ont. Plus souvent qu’autrement, ça coule, on sent pas l’effort. Je vous encourage à persévérer, mon petit ! C’est dans la correction qu’on parvient un jour à la perfection ! À force d’essayer dans la vie, on réussit ! En tout cas souvent ! Probablement que vous n’aurez à remettre sur le métier qu’une fois ou deux pour que ce soit nettement mieux. Laissez faire les « cent fois » ; c’est beaucoup trop. Allez ! Bonne chance et à la prochaine ! N’oubliez pas de vous renseigner sur mes tarifs…