L'été olympique par Daniel Ducharme et Marie-Andrée Mongeau

1976 est un été à oublier… »

Voici la première phrase d’un récit écrit à deux, dont les auteurs ont le front d’affirmer qu’il est basé sur un souvenir commun. 1976 était, à Montréal, l’été des Jeux olympiques. Gabriel, le Gaby du Bout de l’île, aurait préféré ne pas s’en rappeler du tout. Pour Liliane, qui rêve de faire carrière dans la marine marchande : « Les Jeux olympiques ont toujours été pour moi une source d’indifférence… »

Ça commence bien. Comment ces deux-là ont-ils fait, dans ces conditions, pour s’entendre et raconter quelque chose de cohérent à propos de cet été 76 si mal embouché ? Qu’y avait-il eu de si extraordinaire pour qu’avec des points de vue si opposés, Daniel Ducharme et Marie-Andrée Mongeau décident, une vie plus tard, de revenir sur le sujet ?

Cette chose extraordinaire, ce fut leur rencontre. Plus exactement, c’est, aujourd’hui, le regard qu’ils portent sur cette rencontre de jadis, se remémorant, ou non, les événements. Car qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui est fictif, dans cette histoire ?


Première diffusion : 12 septembre 2019 ; Poids : moyen  Collection : Romans
Prix sur 7switch : 3,49 € - 4,99 $ca 
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ISBN : 978-2-924550-49-6


Le début de l’histoire  (extrait):

Gaby :

Donc, le lundi suivant la Saint-Jean, je débutais un emploi aux Jeux olympiques de Montréal. Au Québec, et plus particulièrement à Montréal, les Jeux olympiques de 1976 ont constitué un événement sportif majeur dont on a beaucoup parlé avant, pendant et après, et ce, autant dans la presse locale, nationale qu’internationale. Malheureusement, on n’en a pas toujours parlé pour les bonnes raisons. Pour le maire de la ville, il s’agissait de mettre Montréal sur la carte de manière à lui conférer un statut de ville internationale ouverte sur le monde – surtout pour les touristes, bien entendu. Pour les entreprises (sociétés d’ingénierie, bureaux d’architectes, entrepreneurs en construction), les XXIe Olympiades de l’ère moderne furent surtout un formidable moyen d’enrichissement. Des contrats juteux, du travail bâclé, des rapines à petite et à grande échelle. Une commission publique d’enquête n’a révélé qu’une partie de la vérité. On en saura davantage quand certaines archives s’ouvriront en 2076, le délai pour tout savoir !

Pour la jeunesse étudiante de ce temps-là, les Jeux olympiques ont été sans aucun doute le plus gros pourvoyeur d’emplois d’été. Et j’en ai profité.

[…]

Liliane :

Lorsque je revois Amélie, je fais abstraction des guillemets de mon amitié avec elle et je lui fais part de mon projet. Elle me fait alors part du sien : aller à Québec, avec quelques amis, faire du tourisme et, quelle coïncidence, justement cette semaine-là ! Pourrait-elle loger dans l’appartement de Johnny, vide pendant notre absence, me demande-t-elle ? Je passe le message à Johnny qui accepte de fort bonne grâce de prêter son modeste logement. Je confie à Amélie mon exemplaire de la clé et lui donne l’adresse.

Je me prépare, pour ma semaine de camping. J’aurais bien aimé me joindre à Amélie et son groupe, mais on ne peut pas tout faire. Le fait qu’elle ne me l’ait pas proposé ne me saute pas aux yeux tout de suite. Puisque je vais en camping, la question ne se pose même pas. Et puis, une petite escapade à deux dans la nature, c’est quand même plaisant. Secrètement, j’éprouve même une certaine satisfaction à prouver à Amélie que j’ai une activité à laquelle elle n’a pas accès. Bien sûr, elle n’en a cure, même qu’elle en profite drôlement, mais afficher ainsi mon indépendance me fait un petit velours.

[…]

Gaby :

Au départ, je devais partir en vacances avec mon ami Francis Manègre mais, en raison d’une embrouille avec la famille de celui-ci, le projet est tombé à l’eau, de sorte que je me suis retrouvé devant rien et, n’ayant rien de mieux à faire, j’ai accepté l’invitation d’Amélie Lavigne de partir une semaine en vacances à Québec. Non pas seul avec elle, bien entendu, car Amélie, une amie chère du Collège de l’Assomption, est une fille de groupe qui aime se sentir entourée de gens, même si elle n’entretient pas des liens amicaux avec eux.

Pour ce voyage, nous serions six personnes en tout :

Amélie, donc, leader du groupe. Je l’ai connue pendant mes études au Collège de l’Assomption et me suis rapidement attaché à elle. Je connaissais ses parents dans le chalet desquels j’avais passé une fin de semaine. J’allais souvent chez elle pour discuter et faire des trucs idiots aussi, comme d’aller manger des egg-rolls qu’elle avait cuisinés en quantité industrielle. Amélie est une amie, donc. Une grande fille aux bras ballants que Manègre appelait la « matante ». C’est dire le genre de fille que ça pouvait être…

Alain, un petit maigre aux airs efféminés. Un ami d’Amélie, pas vraiment le mien. Il faisait partie du groupe, mais je ne l’ai jamais vraiment aimé, sans doute parce que lui-même ne m’a jamais témoigné de sympathie non plus. Plus tard il sortira du placard pour révéler son homosexualité. Comme « révélation », on peut faire mieux : tout le monde se doutait depuis longtemps qu’il était gay comme un pinson.

Carole, petite, ronde, fille d’un fermier de L’Assomption. Elle était assez jolie, mais elle ne s’est jamais vraiment intéressée à moi non plus… De toute façon, ne m’étant pas remis de mon chagrin d’amour avec Céline, je n’avais aucune disponibilité intérieure pour une approche.

Claudine, une fille de Pointe-aux-Trembles qui a fréquenté la même école que moi au début de secondaire au Collège Roussin. Je la connaissais bien, ayant même failli sortir avec elle. Elle n’était pas vraiment jolie, mais elle était douée d’une culture remarquable pour son âge. Trop protégée par sa mère, elle avait du mal à s’extérioriser.

Luc, le frère de Carole, un grand gaillard qui aimait courir. Il n’était pas antipathique, mais nous n’avions rien en commun. Il ne s’intéressait qu’à la santé du corps alors que je considérais que chaque moment de lecture en moins était du temps perdu… Il s’apprêtait à débuter sa deuxième année de médecine à l’Université Laval.

[…]

Liliane :

On est déjà presque au milieu de l’après-midi lorsque j’arrive chez Ginette. Tout va bien, nous partirons bientôt, le camion déglingué que Johnny a pu emprunter est devant la porte. Sauf que Johnny, avec son inconséquence caractéristique, a demandé à Ginette de se joindre à nous. Celle-ci, sans trop y penser non plus, a accepté.

Malaise. J’ai beau avoir l’esprit large, je ne peux m’empêcher de me demander quelle sorte de semaine nous allons passer : je sais fort bien que Ginette est probablement aussi une amante occasionnelle de Johnny. Alors ? En pratique, c’est quoi ? Va-t-il passer une nuit avec elle, une nuit avec moi ? Est-ce que je dois vraiment vivre le cliché de l’amour libre, qui fait très bien dans la théorie, mais qui me cause tout de même un certain embarras dans la vraie vie ? Malgré l’époque et le fait que je ne sois pas très amoureuse, je n’ai pas envie d’expérimenter ça. Je tergiverse ; dans ma tête, je cherche à rationaliser mon malaise. Je vois bien que Ginette aussi ressent un inconfort. J’ai beau lui avoir assuré qu’elle peut venir, qu’il n’y a pas de problème… Elle voit bien que je ne suis pas tout à fait sincère.

Nous embarquons dans le camion, avec les bagages et… la tente, ou les tentes ? Je l’ignore. Et je m’en fous, car finalement, à la dernière minute, je décide que non, je n’irai pas. Ginette se sent encore plus mal à l’aise de ma défection, sachant qu’à l’origine c’est moi qui devais accompagner Johnny, mais je suis en mesure de lui dire honnêtement que je n’en ai plus envie, même si elle-même décidait de ne pas y aller. J’affirme avec assurance (et fausseté) que mon groupe d’amis m’attend de toute façon, chez Johnny, quelques rues plus loin, que je n’ai qu’à aller les rejoindre. Je dis ça pour sauver la face, pour éviter d’avoir l’air de la perdante et pour me sortir au plus vite de cette situation fausse.

[…]

Gaby :

Enfin il y avait moi, François-Gabriel Dumas, mieux connu sous le nom de Gaby, dix-neuf ans. J’allais débuter ma deuxième et dernière année de collège à l’automne. Non pas à l’Assomption où je ne suis resté qu’une session, mais au Collège Rosemont. Contrairement aux autres de la bande, je traînais dans mes bagages une peine d’amour. Elle allait miner l’esprit de cet été-là qui, pourtant, avait tout pour être un des plus beaux de la décennie…

C’est dans cet esprit que j’ai entrepris de partir à Québec. Blessé par un chagrin d’amour, épuisé par cinq semaines de travail intense, je m’apprêtais à accompagner cinq personnes qui, à l’exception d’Amélie, n’étaient pas vraiment des amis.

Six personnes en tout, entre dix-huit et dix-neuf ans, dans la chaleur de l’été et ce, dans la plus jolie ville d’Amérique du Nord.

[…]

Liliane :

Je reprends mon sac à dos avec un certain soulagement. Je suis convaincue d’avoir fait la bonne chose, même si ça va à l’encontre des convictions woodstockiennes que je me targue de posséder. Je commence à écouter mon cœur, comme on dit. Pendant que le camion s’éloigne, avec Ginette et Johnny à son bord, je reste seule sur le trottoir, à me demander quelle sera la suite des choses.

Maintenant, je fais quoi ? Je rentre à Repentigny, la queue entre les jambes ? Pas question ! Si Ginette n’avait pas eu deux autres colocataires, que je connais à peine, j’aurais bien emprunté son logement : ça m’aurait bien plu, de passer la semaine toute seule, indépendante dans un endroit à moi… Il ne me reste plus qu’à aller rejoindre Amélie et son groupe et prier pour qu’ils ne soient pas déjà sortis puisque je lui ai prêté mon exemplaire de la clé. C’est là que je m’avise qu’ils ne m’ont pas invitée à leur escapade à Québec.

[…]

Gaby :

Six personnes ? Non, sept… car, une fois arrivés sur place, nous avons trouvé Liliane, une amie de secondaire d’Amélie qui avait changé de collège, préférant étudier les sciences pures à Bois-de-Boulogne plutôt qu’à l’Assomption. Cette Liliane, bien entendu, ne devait pas être là… et, pour une raison que je ne comprenais pas, elle a rapidement été considérée comme une intruse, une fille « spéciale », comme nous l’avait dit Amélie.

Voilà, la table est mise, l’histoire peut commencer.