La vie rocabolesque de François du Paradis, tome 1 (1923-1940), un roman de Pierre Charles Généreux
François Du Paradis est un personnage rocambolesque, picaresque. Né vers 1915, François Du Paradis va traverser, avec armes et bagages, la quasi-intégralité du vingtième siècle. La chose se jouera cul par-dessus tête, en vivant une existence totalement différente de ce qu'il avait pu prévoir ou anticiper. Tout y passe : Années folles, Deuxième Guerre mondiale, Trente Glorieuses, maccarthysme, époque underground de la contre-culture, même une touche de millénarisme. Rien ne nous est épargné. Et on étale et déploie devant soi peut-être le premier regard littéraire et fictionnel qu'arrive à porter le vingt-et-unième siècle sur celui qui fut, de tous les points de vue, un vrai siècle de fous, catastrophique, sanglant, perturbant, artistique, mélancolique.
Pierre Charles Généreux porte bien son nom. Il est un romancier d’action puissant, riche, nuancé, cinématographique, doublé d’un peintre de caractères sémillant et merveilleux. Son récit se déploie à un rythme de charge. Le tout prend corps, en manifestant une capacité d'évocation à la fois perfectionnée et suave.
Première diffusion : 7 septembre 2023 ; Poids : lourd Collection : Romans
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ISBN : 978-2-924550-76-2
Extrait 1
Ma mère m’attend à la gare et sur le quai, je ne vois qu’elle. Je m’attends bien sûr de la trouver en bonne santé, mais jamais de la voir vêtue de façon aussi spectaculaire. Une étole de fourrure claire couvre ses épaules dénudées de par une robe de soie vert pomme à frange bien trop courte pour qu’elle se présente à la présidence du cercle des fermières. Ses bas et ses bijoux sont de prix. Elle porte les cheveux longs, contrairement à la mode actuelle qui privilégie les coupes garçonnières. Ils sont savamment coiffés, en une sorte d’étalage médiéval. À voir les talons qu’elle porte, il me vient à croire qu’on assiste aux mêmes spectacles de burlesque allemand.
Trouver sa mère ravissante et au pire désirable est franchement tordu.
Je me convaincs de la véracité de cet axiome un voyant les œillades fiévreuses des hommes qu’elle croise. Elle me fait signe avec d’amples gestes, comme si je ne l’avais pas vue. C’est aussi impossible de la manquer que de confondre May West avec Eleanor Roosevelt. Elle m’aborde avec le sourire de ceux qui n’ont pas de misères avec la vie. Elle m’embrasse :
— Comme tu es un homme maintenant! On mange bien à New York à ce que je vois. Mon Dieu que tes cheveux sont longs. Tu ressembles à ton … beau-père… je veux dire. Un vrai gitan ou plutôt un aventurier! Tout le monde t’attend.
Extrait 2
Il tourne les talons et entre dans le bordel. Au moment de nous diriger vers la voiture, je croise le regard de William et, au lieu d’y trouver un restant de tristesse ou de gêne, je vois l’éclat sinistre d’une lame, un éclair de haine si lumineux que j’en ai des frissons. Je le soutiens néanmoins. J’ai passé le test, nous avons passé le test, André et moi, et il a échoué. Lui, le fanfaron, la queue molle comme une nouille. Cela va se savoir, tout se sait. À partir de ce jour, rien ne pourra qualifier la nature définitive du ressentiment qui nous sépare. Je sens que le dénouement de cet antagonisme nous mènera à l’extrême. Cette fois, il n’y aura d’autre d’issue que dans la mort.
Extrait 3
Il baisse lentement son fusil, mais son attitude de fauve me rappelle que ma vie ne tient qu’à un fil d’araignée. Je reconnaitrai cette arme de destruction rapprochée pour le reste de mes jours, qui ne m’apparaissent, tout à coup, plus aussi certains de s’accumuler. Il s’agit précisément de celle dont s’est servi Raymond pour trucider le garde, il y de cela, me semble-t-il, un siècle. Le nouveau venu s’adresse à moi avec un niveau de langage qui rappelle davantage celui d’un universitaire que d’un homme des marais. En dépit de son allure rugueuse, il émane de sa personne une sorte de bienveillance, une bonhomie qui n’est pas sans rappeler celle d’un grizzly. On sent tout de suite qu’il peut vous éventrer et manger votre foie. Il vérifierait sans doute aussi, si vous n’auriez pas aussi une ou deux dents en or.
Pourtant, je suis curieusement apaisé par ses yeux, qui n’ont rien de démoniaque. Son maintien a peu à voir avec la prestance ultra-agressive de Harlow, qui vous faisait vous recroqueviller de peur dans l’attente du coup imparable. Le mot cruauté se lisait dans sa face comme les chiffres sur un jeu de cartes. Je reprends mon souffle lentement. Je tire du pied sur la chaine qui est prise dans les ronces. Me voilà propre. Il dit toujours, sur ce ton singulièrement didactique :
— Je ne veux pas vous importuner durant votre pique-nique, mais sauf votre respect, je présume que vous venez de passer au travers de quelques épisodes fâcheux.
Il n’a pas armé son fusil, c’est déjà ça. Je décide de jouer le jeu et de me présenter à lui en usant moi aussi du vocabulaire des patriciens :
— On me nomme François Du Paradis. Je suis musicien professionnel et je suis enchanté, quoiqu’un peu mal à l’aise, de faire votre connaissance dans une position aussi embarrassante. Je suis désolé de devoir me présenter à vous sous des augures à première vue défavorables, mais je suis convaincu, aussitôt sorti de cette délicate position, de pouvoir faire amende honorable.
— Musicien professionnel. Tiens, tiens. Vous voyagez toujours en groupe, qu’il me fait, en pointant de la barbe ce qui reste de Raymond.
— C’est mon bassiste, un excellent instrumentiste. Il vient de passer une nuit assez difficile. Veuillez l’excuser.
Il rigole, c’est bon signe. Il dit encore, en mettant son fusil en bandoulière :
— Sans être indiscret, êtes-vous en voyage d’affaire ou simplement de passage ?