Soleil à Vazec, un roman de Loana Hoarau

On ne sait pas trop d’oùil vient, ni comment il s’appelle, mais il est venu rejoindre Dimitri, l’autre garçon de Gautier, le maître. Tous deux travaillent pour Gauthier. Tous deux sont devenus des jouets entre ses mains. Tous deux goûteront à sa médecine dissimulée dans un verre de lait dont, bientôt, ils ne peuvent plus se passer. L’auteure laisse entendre qu’ils viendraient d’Europe de l’est, probablement de Roumanie, pays de tous les extrêmes, ou de Slovaquie, allez savoir. Peu importe, ils sont là, chez Gauthier. Et ils y resteront. Jusqu’à la fin.

Le travail s’imprégnera de ton être. Te diminuera au strict minimum. Brisera ton existence. Te privera de tes besoins essentiels. Dormir, manger, penser. Le travail sera un monstre qui t’engloutira. Tu n’es plus rien qu’un être dans la masse. Un être inapte à la protestation. Tu n’es plus rien que le travail lui-même. La faim sera terrible, et tu n’auras droit qu’au strict minimum, pour plus de rendement. Un repas composé d’un fruit le midi, une soupe et ton verre de lait le soir. Pas plus. Il ne faudrait pas te laisser distraire par autre chose que ce que tu dois accomplir ici. Mériter son pain. Mériter sa couche.

Loana Hoarau, née en 1977, vit à Belfort dans l’Est de la France où elle consacre le plus clair de son temps à l’écriture. Auteure depuis plus de vingt ans, ses romans et scénarii sont basés uniquement sur le drame psychologique, le réalisme et l’horreur. Les enfants ont toujours une grande importance dans ses écrits et sont souvent les protagonistes réels ou rêvés, le thème principal de l’intrigue. Amoureuse des mots, des contrastes et des phrases à double sens, Loana offre un univers sombre et dérangeant à celui ou celle qui voudra bien la suivre.

Pour son troisième roman, Loana Hoarau a campé son décor dans une zone rurale, quelque part en France ou en Suisse. Dans un style fort original, elle racontera l’histoire de ce garçon à la deuxième personne du singulier, et toujours au futur simple. Cela donne une étrange impression, comme si elle s’adressait à nous, lecteurs, comme si nous étions les prochaines victimes de ce Gautier. Frissons garantis, et pour ceux qui n’ont pas de chance, cauchemars assurés. Car ce roman est tout à la fois envoûtant et terrible, comme peut l’être sans doute la relation entre le bourreau et sa victime.


Première diffusion : 4 novembre 2016 ; Poids : plume  Collection : Romans
Prix sur 7switch : 1,99 euro; - 2,59 $ca 
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ISBN : 978-2-924550-22-9


Un extrait

La faim sera terrible, et tu n’auras droit qu’au strict minimum, pour plus de rendement. Un repas composé d’un fruit le midi, une soupe et ton verre de lait le soir. Pas plus. Il ne faudrait pas te laisser distraire par autre chose que ce que tu dois accomplir ici. Mériter son pain. Mériter sa couche.

Deux semaines passeront, monotones, sans heurt ni joie. Si les premiers temps tu as voulu fuir cet endroit, tu oublieras bien vite ce besoin. Si les premiers jours tu t’es enfoncé dans le crâne que tout acte répréhensible est punissable, qu’il soit infime ou soutenu, les jours suivants tu ne réfléchiras plus. Tu n’essaieras plus de deviner les choses. Par instinct, tu protégeras le peu de choses qu’il te reste et qui te tient en vie : la couche et le verre de lait qui t’assomme, qui rétrécit ta vision, qui te plante ici.

Son ciel blanc, amer, rayé de brume, est addictif. Sans lui, la prunelle de ton œil se dévoile, découvre la réalité. Celle du monde réel, corrompu, frontal. Celle que tu ne veux pas affronter. Tu auras besoin de te déconnecter pour rester en vie. Tu agiras en conséquence. Tu t’efforceras à accomplir tes tâches du mieux que tu peux pour avoir le droit à ce ciel. Tu jugeras bon d’évacuer tout doute en toi, toute question qui pourrait subsister dans ton esprit. Il n’y a que le ciel qui compte. Le ciel que tu avales et digères, qui ne te consulte pas pour creuser ses sillages trompeurs, pour bâtir en toi une autre réalité. Une réalité qui s’avise à te faire survivre et te condamner aux chimères.

Extirpation du monde réel. Sans lésion un soir tu t’attacheras au ciel. Tu ne comprendras pas ces mains qui flatteront ta peau, ces mots qui calmeront le cyclone dans ton esprit. La dose hallucinogène sera puissante. Traversera ton corps pour mieux l’amadouer. Déchiquettera avec ravissement le conflit. La couche sera chaude. Tu végèteras tel une marionnette à laquelle on aurait coupé les fils. Inerte. Endommagée. Étendue sur sa propre tombe.

Adroit, le vent sur ton cou sera bouillant. Attirant. Vertigineux. Tu le devineras entrer en toi et te confesser son subterfuge pour s’allier à ton cerveau sans que tu ne t’en rendes vraiment compte. Aucun désaccord. À l’unisson. En harmonie. Tu n’envisageras pas de le repousser. Son souffle te recouvrira de telle sorte que le moindre réflexe de ta part se volatilisera.

Le poids du ciel sur tes abdos courbatus. Le poids de son halètement sur ta nuque.

La pluie épaisse qui cogne la vitre fera moins de bruit que vos deux respirations réunies. L’une langoureuse, l’autre surmenée. Feutré, son cœur cognera, excessif, contre ta peau chétive. Entre tes lèvres alanguies par le poison, une partie de lui, brute, fiévreuse, frottant férocement, frénétiquement ton palais. L’étouffant d’un suc amer. Tu auras envie de vomir, mais le ciel t’en empêchera. Ses deux mains qui te plaquent contre lui. Tu seras ailleurs, égaré, hors de ta personne. Au cœur de la transe forcée.

Tu seras sous son emprise. Tu ne pourras lui en vouloir, lui qui t’emprisonne, qui t’achève. Tu seras sous son emprise. Tu ne pourras lui en vouloir car il te témoignera à ce moment-là toute son attraction, toute sa ferveur. Toute son attention. Toi qui en a tant besoin.

Tu seras sous son emprise. Irrépressible.
 


Pour en savoir plus sur ce roman et sur l'univers de Loana Hoarau, lisez la critique que Daniel Ducharme a publié sur son site Web.


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