À ma manière, un roman de Loana Hoarau
Je me suis rendu compte d’un coup que j’étais nu comme un ver et que les vêtements qui me recouvraient étaient mes bleus, mes ecchymoses, mes lacérations. Ils habillaient mon corps entier,
à l’extérieur, de la plante des pieds jusqu’au haut de mon crâne, à l’intérieur, de mon cerveau jusqu’au moindre de mes nerfs. Le soleil les sublimait, les rappelait
à moi, en les voyant j’avais mal, et je hurlais. Paysage englouti. Sans conscience. Sans fumet. Sans rien. Je ne voyais rien.
Juste ce chemin sur lequel je courais à en perdre haleine.
À en perdre mon souffle.
À en perdre mon reste de raison.
Je ne sentais pas les gravats brûlants sous mes pieds ravagés, en sang, ni ce corps qui me portait encore et qui n’était plus que caricature. Je ne sentais plus mon corps exploité, mutilé. En sang. Je ne pensais plus qu’à une seule chose.
Courir.
Courir encore.
Lorsque j’ai dépassé le terrain vague, qui s’était évertué à me faire tomber dans ses crevasses et sa vase, il s’était écoulé je pense plus de dix minutes. Pour moi, cela semblait des heures, une éternité. Toujours avec cette terreur de le voir me poursuivre. Il n’en était rien. Comme si tout cela n’avait été qu’un rêve, qu’une illusion.
Première diffusion : 11 mai 2019 ; Poids : moyen Collection : Romans
Prix sur 7switch : 3,49 € - 4,99 $ca
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ISBN : 978-2-924550-47-2
Extrait (suite)
Après le terrain vague, il y avait des immeubles. Des tas d’immeubles se ressemblant les uns les autres, il était facile de se fondre dans ce décor de ciment.
J’ai continué à courir, j’étais encore trop près de ma prison, il fallait que je m’en éloigne le plus possible. Partir loin, très loin de cet endroit de malheur. Il me fallait cette pensée pour pouvoir avoir encore assez de forces pour échapper à ce monde-là.
Je me suis arrêté de courir lorsque j’ai vu à quelques mètres de distance des gens marcher. Les rues étaient proches. Le jour et la chaleur avaient fait sortir bien du monde. Étourdi, suffoqué par cette folle course que j’avais entreprise, je regardais autour de moi afin de trouver quelque chose qui envelopperait efficacement mon corps.
Je me fichais bien que l’on me voie nu. Je m’inquiétais seulement que l’on remarque l’ouragan de coups tatoués sur toute mon anatomie.
Je pensais me rendre directement à la gendarmerie.
Je m’étais imaginé des jours et des jours durant y aller, on m’aurait installé sur une chaise dans un petit couloir sombre, ou dans une salle d’attente comme chez le médecin, mais cette fois-ci sans magazine pour patienter, et j’aurais ressassé toute mon histoire avant de la débiter à des personnes étrangères, les premières que j’aurais aperçues au bout de toutes ces semaines.
Alors j’aurais pleuré devant elles, ces personnes étrangères qui m’auraient pris pour un dingue, qui m’auraient demandé comment je m’appelle, et dont le seul réflexe aurait été de répondre « sale merde », parce que c’est comme ça qu’il m’appelait depuis des jours et des jours et des jours.
Puis j’aurais repris conscience en me disant que je m’appelais Lauri. Lauri comment ? Je ne sais plus vraiment. De toute façon, ce prénom ne me servait à rien, vraiment à pas grand chose en vérité, alors pourquoi s’en souvenir ? Mon empoisonneur m’avait interdit de le prononcer. Je n’avais plus le droit de parler, de penser, ou même de suggérer par un geste mon mécontentement.
Et puis je me serais ravisé, parce que si les gendarmes avaient su comment je m’appelais, ils auraient tout compris, ils auraient retrouvé des choses insupportables sur nous, ils m’auraient fait la morale sans doute, en prenant des pincettes bien sûr, mais ils m’auraient parlé sans discontinuer, pesant le pour et le contre, me disant que j’avais mérité ce qui m’était arrivé parce que j’avais ma part de responsabilité là-dedans.
Alors j’aurais eu mal, très mal, je serais peut-être sorti du commissariat avec des menottes autour des poignets, ou peut-être que j’aurais été mis en détention provisoire en attendant un verdict, ou peut-être que je serais ressorti libre, mais le mal étant ce qu’il est, je me serais suicidé à la première occasion, parce qu’avant de me libérer, ils m’auraient forcé à affronter le regard de mon geôlier, ils m’auraient demandé de le reconnaître, et je n’aurais pas eu de difficulté à le reconnaître, puisqu’il est si proche de moi.
Mon frère.
Et tu es dehors.